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J'ai relu "Americanah" et ça a résonné fort

Dernière mise à jour : 14 sept. 2020

Et comme à chaque fois, j’ai refermé le livre avec les yeux embués; triste de devoir déjà dire au revoir à Ifemelu et Obinze et de voir s’arrêter là leur histoire que je connais pourtant par coeur.


Alors, oui, je suis le genre de personne qui lit et relit les livres qu’elle aime.

Et pour celui-ci, je dois en être à ma 4ème relecture. Et pour cause, l'écriture de Chimamanda Ngozi Adichie est toujours d'actualité. Sans concession. Juste.


Publié en 2013, le livre relate l’histoire d’Ifemelu,

une jeune femme qui rentre au Nigeria après 13 années passées aux Etats-Unis. Elle décide sur ce qui semble être un coup de tête de quitter son petit ami africain-américain (Blaine), de vendre son appartement et de fermer son blog - qui traite (de son point de vue de femme noire et africaine) de l’identité raciale et du racisme aux Etats-Unis.


Pour l’éternelle romantique que je suis, ce livre est avant tout une magnifique histoire d’amour. Celle d’Ifemelu et d’Obinze, son amour de jeunesse, dont on suit aussi les aventures, entre immigration illégale en Angleterre et vie extrêmement aisée à Lagos.


Mais Americanah n'est pas seulement une histoire d'amour.

C'est une formidable fresque sociale qui se déroule sur trois continents. Cette histoire d'amour, c'est presqu'un prétexte pour aborder des sujets plus douloureux, moins légers.


Cette fois-ci, l'essor de la lutte antiraciste et les morts abjectes qui l'ont précédée ont donné à ma lecture une résonance toute particulière.


"Americanah" aborde en effet avec finesse les questions d'identité raciale et de racisme.


Ifemelu, dans son blog, traite entre autres sujets :

  • du privilège blanc,

  • de la construction de l’identité selon qu’on appartient à la majorité raciale ou à une minorité,

  • du malaise à évoquer la question de la race sociale, y compris avec des personnes proches,

  • ou encore de la « color-blindness », cette drôle d’affliction qui fait « qu’on ne voit pas les couleurs de peau »

Autant de thèmes toujours cruellement d’actualité.


J’ai notamment souri tristement en relisant ce passage :

« Quand vous mettez des sous-vêtements couleur chair, ou utilisez des pansements couleur chair, savez-vous à l’avance qu’ils ne seront pas assortis à la couleur de votre peau? »

Ça vous rappelle quelque chose ?

Coucou Band Aid qui aura attendu 2020 pour comprendre que la couleur "chair" n'avait pas la nuance pour tout le monde!


Alors, oui, on pourrait se dire que le point de vue d’Ifemelu est uniquement centré sur les Etats-Unis et ne s’applique pas à la France.


Et s’il est vrai que la question de la race sociale n’a pas la même construction historique selon le côté de l’Atlantique où l’on se trouve, beaucoup des réflexions d’Ifemelu s’appliquent en réalité, aussi à la France.


En particulier le malaise à l’heure d’évoquer les questions raciales, dans une société dont le modèle dit d’assimilation devrait suffire à débarrasser tous les individus de leur couleur ou de leur attachement à une origine géographique ou culturelle.


D’ailleurs, Chimamanda Ngozi Adichie aborde aussi la question raciale en Europe, à travers le parcours d’Obinze en Angleterre. Et elle fait d’ailleurs très bien ressortir les différences entre les deux côtés de l’Atlantique. Comme dans ce dîner mondain où Obinze est invité par son vieux camarade, Emenike :

« Ici (en Angleterre), un garçon blanc et une jeune fille noire qui ont grandi dans la même ville ouvrière peuvent sortir ensemble et la race sera secondaire. Mais en Amérique, même s’ils grandissent dans le même quartier, la race sera primordiale »

Je me suis délectée aussi de la lecture - sans concession - que fait Chimamanda Ngozi Adichi de l’immigration.


A travers chacun de ses portraits, elle dresse les différents chemins (plus ou moins heureux) qui mènent à l’Occident :

  • L’enfant qui nait de parents immigrants, porteurs de tous leurs espoirs d’intégration dans une société à laquelle eux-mêmes ne réussissent pas à intégrer pleinement.

  • Celui qui arrive tout jeune et se retrouve dans des limbes identitaires. On lui renvoie sans cesse qu’il n’est pas d’ici mais qui sent aussi très bien qu’il ne fera jamais partie non plus d’un ailleurs qui est celui de ses parents et où il sera toujours perçu comme l’étranger.

  • L’étudiante, dépourvue de la plasticité des tout jeunes et dont l’adaptation est plus difficile : entre la nécessité de comprendre un monde nouveau pour s’y intégrer et les difficultés financières liées à des différences de niveau de vie entre pays d’origine et pays d’accueil

  • Les personnes plus âgées encore, venues tenter leur chance. Et qui, dépourvues de qualification, sont condamnées à des vies dures entre invisibilisation, peur, honte et humiliations. Surtout lorsque l’immigration est illégale.

Et quelle justesse dans la description des changements qui peuvent intervenir chez les personnes qui émigrent. La description des changements de comportements (un accent qui change, le rejet de certains traits culturels,...) ou d'apparence physique frôle la perfection.

On sent dans les personnages de Chimamanda toutes les difficultés vécues dans ces parcours d'acculturation. Et ces difficultés ne sont pas que matérielles ou logistiques. elles marquent les individus au plus profond de leur être. Elles sont visibles à l'oeil nu.

Ces difficultés affectent jusqu'aux relations. Des amitiés sont balayées par la traversée des océans et on semble avoir la trahison ou le mépris plus faciles. Les rapports de domination sociale peuvent parfois même s'inverser. On le voit par exemple dans la relation entre Obinze et Emenike. Le premier appartenait à la classe moyenne intellectuelle nigériane alors que le second était un villageois secrètement complexé.

Une fois arrivés en Angleterre, Emenike a réussi une intégration parfaite et met un point d'honneur à écraser de tout son poids son ancien "ami", immigrant illégal et pauvre.


Et, comme pour boucler la boucle sur l’immigration, Chimamanda Ngozi Adichie dresse aussi des portraits de « repat », ces immigrés qui font le choix de rentrer dans leur pays d’origine.


Elle évoque les difficultés à se réintégrer dans un pays qui est pourtant le sien. Mais comment pourrait-il en être autrement quand on s'est adapté (même involontairement) au mode ou au rythme de vie du pays dont on revient.


Et face à cette réflexion, la podcasteuse en moi a pensé à Céline, mon amie et invitée de l’épisode 10 qui a fait le choix de rentrer vivre en Côte d’Ivoire. Elle raconte dans notre conversation des situations proches de ce que vit Ifemelu... En lien avec l'adaptation au travail ou le fait de porter ses cheveux naturels par exemple.



Pourtant, ce ne sont pas les questions de race sociale ou d’immigration qui m’ont poussée à ressortir ce livre de ma bibliothèque.

C’est suite à ma conversation avec Marie-Virgile, dans l'épisode 11 du podcast (cliquez ici pour écouter) que j’ai eu envie de relire un passage bien précis d’"Americanah".

Mon invitée évoquait le divorce de ses parents en Côte d’Ivoire il y a près de 30 ans, dans une société où le divorce ne se faisait tout simplement pas. Et où la femme était supposée tout endurer pour préserver son foyer et assurer le bonheur de ses enfants.

Personnellement, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours baigné dans ces injonctions. Si bien que je ne suis pas sûre qu’il faille en parler au passé.


Le passage du livre que je cherchais est celui où Obinze évoque son envie de divorcer et se heurte à l’incompréhension d'un de ses amis :

« Beaucoup d’entre nous n’ont pas épousé la femme qu’ils aimaient vraiment. Nous avons épousé la femme qui se trouvait là quand nous étions prêts à nous marier. Alors oublie cette histoire. Tu peux continuer à la voir, mais tu n’as pas besoin d’adopter ce comportement de blanc. Si ta femme avait un enfant de quelqu’un d’autre ou si tu la battais, ça serait une raison de divorcer. Mais te lever et dire que tu n’as aucun problème avec ta femme mais que tu la quittes pour une autre ? Haba ! Nous ne nous conduisons pas comme ça, je t’en prie. »

J’avais envie de me replonger dans cette construction culturelle où le mariage n’est pas toujours (seulement ?) une affaire d’amour.

Où cette institution apporte une certaine respectabilité, un titre et une sorte d’aura à la femme mariée.

Celle-ci est alors prête à fermer les yeux sur les éventuelles incartades de son mari, qui peut avoir des maîtresses (deuxième bureau) mais qui reviendra toujours à la maison, chez celle qu’on appelle en Côte d’ivoire, la titulaire.

J’ai adoré cette conversation avec Marie-Virgile qui donne à voir une femme africaine libre et forte, bien avant la voix de Chimamanda Ngozi Adichie ou d’autres afro féministes.

Et une force pareille laisse forcément des traces puisque Marie-Virgile raconte bien comment ce divorce et la décision de sa mère a façonné sa vision du couple.

Une vision où elle se sent, elle aussi, libre et maîtresse de son destin de femme.

Bref, j’ai relu "Americanah" et ça a résonné fort en moi pour tellement de raisons...


Je l’ai reposé avec une pointe de nostalgie, vite dissipée par ma découverte du « Blog d’Ifemelu » sur le site de Chimamanda Ngozi Adichie (https://www.chimamanda.com/ifemelus-blog/). Et quel bonheur !

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